La révolution antillaise quelle place pour l’outre-mer dans la république ?
La révolution antillaise méritait bien un livre. Un livre est un objet qui dure, qui fixe dans le temps le film de l’actualité, mais aussi tout ce que l’actualité ne dit pas.
Au début de l’année 2009, le public français découvre avec étonnement et curiosité l’envers de la carte postale antillaise. La Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, où le mouvement a commencé en décembre 2008, et la Réunion, dans l’océan Indien, sont des sociétés où s’expriment des revendications complexes contre la vie chère, contre la pwofitasyon et les monopoles et où se construisent des identités mal connues, issues de notre histoire commune et d’histoires particulières.
Pour comprendre ce qui est en jeu dans ces territoires de la République, nous avons mobilisé toutes les disciplines : l’histoire, la géographie, l’économie, la sociologie qui permettent de décrypter et de trouver un sens à ce qui s’est passé devant les caméras de télévision pendant plus de deux mois. C’est bien peu de dire que les événements sociaux et politiques aux Antilles et à la Réunion ont passionné l’opinion. Des millions de Français du continent qui connaissent d’autres Français de la dite « périphérie » se sont interrogés sur`ces citoyens du bout du monde, sur cette France des extrêmes géographiques. Ils ont voulu en savoir plus sur les non-dits et dépasser les représentations simplistes des plages de sable blanc et des doudous créoles en tablier coloré. Nous sommes membres de la même communauté nationale, mais nous n’avons pas grandi à l’ombre des mêmes arbres.
Cette révolution a également bousculé en profondeur la société antillaise elle-même. Responsables politiques, partenaires sociaux, mouvances associa- tives, églises, opinion publique sont à la recherche de nouveaux repères. C’est un véritable tremblement de terre. Cette révolution peut-elle être une chance de mieux se connaître et de se comprendre en fraternité humaine ?
Dans ses déclarations, notamment sur France Ô, le chef de l’État, M. Nicolas Sarkozy, a lui aussi admis que la République ne traitait pas tous ses enfants de la même façon. C’est une des premières fois qu’un président français le reconnaissait et appelait à construire une relation nouvelle. Il est vrai que d’autres présidents de la Ve République, notamment le général de Gaulle, dans son discours de Brazzaville, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et même Jacques Chirac en Nouvelle-Calédonie, ont évoqué la possibilité de nouveaux types de relations. Mais aucun n’était allé aussi loin dans la concrétisation de cette idée. Les textes que nous présentons ont pour objectif de servir une meilleure compréhension des sociétés de l’outre-mer et des Français qui y vivent. Ces textes s’adressent à toute la communauté nationale. Quelques mots clés peuvent servir de balises pour éclairer la route.
D’abord le mot « Histoire ». François Durpaire, professeur agrégé, biographe du président Obama et membre du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, et Stéphanie Melyon-Reinette, civilisationniste, proposent un voyage dans le temps qui explique comment les sociétés d’outre-mer se sont construites et comment leur histoire éclaire les conflits du présent. Guy Numa, enseignant-chercheur à Paris Dauphine, donne du sens au mot « économie ». Les collectifs contre la vie chère ont placé les économies des départements d’outre-mer sous une loupe. Que n’a-t-on entendu à ce sujet : économie de plantation, économie de rente, économie coloniale. Avec le sérieux d’un universitaire, Guy Numa sait mettre des mots et des chiffres sur la réalité économique des territoires concernés. Quel est le rôle de l’État, comment les monopoles, oligopoles et groupes dominants ont-ils placé les Antilles, la Guyane et la Réunion en coupe réglée ? La colère des manifestants s’est cristallisée sur le panier de la ménagère. Dès lors, quelles solutions mobiliser pour sortir de la tutelle par le haut et construire dans la durée des sociétés économiques plus justes et plus durables ? Pascal Perri, professeur d’économie à l’école de commerce Advancia-Negocia, suggère des pistes de reconstruction : un dispositif antitrust pour libérer le secteur de la distribution et l’import-export dans des sociétés qui importent la presque totalité de leur consommation, l’extension des zones franches, la recherche de la souveraineté alimentaire et une politique énergétique autonome misant sur les ressources solaires, enfin le développement d’un tourisme de contenu, à forte valeur ajoutée, s’adossant à un vaste programme de formation de la jeunesse.
Mais, pour comprendre la crise antillaise, il faut aussi rentrer dans l’intimité des âmes. Serge Romana a cherché l’immatériel en interrogeant les notions de mémoire et d’histoire. Selon lui, « la République doit accepter de reconsidérer sa politique mémorielle.
Elle doit renoncer à l’autoglorification et au mythe d’une mémoire partagée ». C’est dans le secret des têtes, que se trouve ensevelie une partie du conflit.
Avec Michel Giraud, directeur de recherche au CNRS, nous nous interrogeons sur la fabrication des identités, sur le rôle et la pensée des élites dans la crise. M. Giraud rappelle la sympathie d’un Raphaël Confiant pour la Martinique qui travaille contre celle qui consomme et cherche à expliquer la distance prise par une partie des élites vis-à-vis du mouvement.
Enfin, ma contribution s’efforce d’éclairer la continuité du mouvement né aux Antilles sur le territoire de la France hexagonale et la mobilisation des Antillais résidant sur place, en résonance puis en concordance avec le mouvement populaire des départements d’outre-mer. Elle montre comment ces Français nés aux Antilles ou originaires de ces territoires sont désormais légitimés par leur participation, fût-elle immatérielle ou lointaine, aux événements de début 2009.
La Révolution antillaise doit beaucoup aux « experts » réunis sur les plateaux de France Ô et de RFO qui, aux côtés des journalistes de la chaîne, ont rendu compte et décrypté ce conflit auprès de tous les publics.
Pour beaucoup d’observateurs avisés, les quarante-cinq jours de la Martinique et de la Guadeloupe ont durablement et profondément changé la représentation que les ultramarins ont d’eux-mêmes et de leurs territoires.
Plus rien ne sera comme avant, proclament ceux qui connaissent les Antilles. Il reste maintenant à construire une nouvelle place aux départements d’outre-mer dans la République.
L’ambition de ce livre est de mobiliser quelques idées nouvelles pour y parvenir.