Petite Philosophie de nos erreurs quotidiennes

Petite Philosophie de nos erreurs quotidiennes, Comment nous trompons-nous?

Philosophie ou psychologie ?
Astuces et limites de notre raisonnement :
les biais cognitifs
La raison nous trompe plus souvent que la nature
Les pièges de la mémoire et du langage
Rien n’est aussi contagieux que l’exemple
La première idée n’est pas toujours la meilleure
La formulation influence la décision
Comparaison n’est pas raison
Le poids des représentations
La « loi » des petits nombres
La chance sourit-elle aux optimistes ?
La fréquence banalise

Le besoin de sens à tout prix
Un malheur peut arriver seul
Le hasard est une loi qui voyage incognito
Ce n’est pas moi, c’est lui !

L’excès de confiance
L’irrésistible envie de confirmation
Je le savais depuis le début
Il a, dit-il, la situation bien en main
Le brouillard des chiffres
Tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu
À chacun sa manière de compter
Le moindre effort
Un tiens vaut-il vraiment mieux que deux tu l’auras ?
Restons en terrain connu
Ces choix qui embarrassent
La pression du groupe
Consensus sous influence : qui ne dit mot consent
La foule a beaucoup de têtes et pas de cervelle
La notion de biais en question
Pourquoi l’intuition ne serait-elle pas rationnelle ?

Introduction PHILOSOPHIE OU PSYCHOLOGIE ?

Errare humanum est L’erreur est humaine. Nous nous trompons tous,
tout le temps. Nous ne pouvons pas ne pas nous tromper. Et quand nous croyons apprendre de nos erreurs, nous commettons le plus souvent une erreur supplémentaire… Mais qu’est-ce que l’erreur ?
D’où vient-elle ? Quelle est sa nature, son statut ?
Pouvons-nous l’éviter ?
Se poser la question de l’erreur, c’est se poser la question de la vérité, du vrai, du juste, c’est s’interroger sur les sources et les voies de la connaissance, sur notre manière de penser, de raisonner.
Depuis la naissance de la philosophie en Grèce avant notre ère, les philosophes se sont attelés à cette tâche.
Ils ont cherché à comprendre comment le savoir se construit et
pourquoi nos connaissances sont aussi imparfaites, pourquoi nous nous trompons et comment nous prévenir de l’erreur.
C’est ainsi qu’est née une discipline intellectuelle, la logique, avec une ambition clairement affichée :
devenir la science du raisonnement valide, en se penchant uniquement sur la forme des propositions. De manière simplifiée, disons que la logique cherche à établir les conditions de l’utilisation correcte du mot « donc ».
Sur son acte de naissance, on trouve un raisonnement valide élémentaire : le modus ponens, né de parents stoïciens.
Si A, alors B ; Or A ; Donc B.
S’il pleut, la route est mouillée. Il pleut. Donc la route est mouillée. Cela paraît tellement évident !
Pourtant, se présente déjà un risque d’erreur fréquent : c’est de croire que, si la route est mouillée, c’est parce qu’il a plu ! Eh bien non, c’est
parce que quelqu’un a jeté un seau d’eau…
Quand un logicien écoute Bob Marley chanter No Woman, No Cry
, il ne se pose pas la question de savoir si c’est vrai ou faux. Par contre, en examinant uniquement la structure du raisonnement, il pourra dire à un homme qui ne pleure pas que ce n’est pas nécessairement parce qu’il n’a pas de femme…
Le père fondateur de la logique semble être, une fois encore, Aristote. À la recherche du raisonnement parfait, sa célèbre théorie du syllogisme a ouvert un chantier qui n’est toujours pas achevé (et qui ne le sera sans doute jamais). Nous avons décrit en détail cette longue aventure dans Pensée magique, pensée logique (Le Pommier, 2008).
Dans leur quête du « vrai » et du « correct », les philosophes ont voulu démonter, chacun à leur façon, les mécanismes de la pensée. Et leur chasse à l’erreur les a menés à poser des questions de plus en plus fondamentales. Peut-on mathématiser la pensée, autrement dit prouver qu’on a raison comme on prouve un théorème ? Dans quelle mesure le langage respecte-t-il la pensée ? Tout problème a-t-il une solution ? Comment devonsnous interpréter les paradoxes ?
Que peut-on vraiment apprendre de l’expérience (c’est le célèbre problème de l’induction) ? Et finalement peut-on se fier à notre raison, ou vaut-il mieux douter de tout ? Mais alors, qu’est-ce que la science? Etc.
En passant progressivement des questions de forme aux questions de fond, les philosophes ont analysé les mécanismes de l’erreur sous des angles et avec des profondeurs de champ très variés. Les recherches actuelles sur les erreurs de raisonnement ont donc de nombreux
précurseurs.
Tous les penseurs se sont attachés à formaliser les façons de penser juste, en se méfiant du critère d’évidence, des apparences trompeuses, ou encore des pièges toujours bien présents du sophisme. Un grand moment (le grand moment ?) de cette longue marche est celui où Emmanuel Kant décida de critiquer la « raison pure ». L’impact du philosophe allemand est certes paradoxal, car, dans une partie de ses
recherches, il s’est fameusement trompé ! En décrétant la logique d’Aristote « science achevée », il commit en effet une erreur monumentale. Comme le (dé)montreront par la suite Friedrich Frege, Bertrand Russel et les logiciens du XX siècle. Mais par ailleurs, en montrant à quel point c’est le sujet qui construit la manière dont il voit les objets autour de lui, il fit entrer la pensée dans un nouveau paradigme que des générations de philosophes exploiteront par la suite.
À propos de l’erreur, Kant dit par exemple ceci :
« Il faut chercher à découvrir et expliquer la source de l’erreur, c’est-à-dire l’apparence. Mais très peu de philosophes l’ont fait.
Ils se sont contentés de chercher à réfuter les erreurs même sans  indiquer l’apparence d’où elles proviennent. Et pourtant la détection et la solution de l’apparence sont d’un bien plus grand profit pour la vérité que la réfutation directe des erreurs ellesmêmes, qui ne nous permet pas de tarir leur source, non plus que d’empêcher qu’en d’autres occasions l’apparence ne nous conduise de nouveau à des
erreurs, puisqu’elle n’a pas été reconnue.»
Avec sa « révolution copernicienne », Kant offrit à la communauté intellectuelle un regard complètement neuf sur la manière dont l’esprit
fonctionne.
Et d’une certaine manière, il a rendu possible la naissance d’une toute nouvelle discipline : la psychologie. Même si les réflexions du philosophe allemand restent avant tout « corticales », petit à petit les théoriciens de l’erreur analyseront le côté émotif, voire affectif, des  choses. De nouveaux mots apparaîtront dans les travaux : inconscient,
désir, passage à l’acte, lapsus, acte manqué, narcissisme… Les psychologues vont explorer l’autre versant de la montagne de nos erreurs et apporteront des éclairages nouveaux sur le fonctionnement de notre esprit et les limites de notre capacité de raisonner….

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