Cet ouvrage [Économie du logiciel] s’adresse à ceux qui font, vendent, utilisent ou achètent du logiciel libre, c’est-à-dire, tôt ou tard… à tout le monde !
Les logiciels libres sont des objets bien mystérieux. Poussent-ils sur les arbres ? Comment peut-on gagner de l’argent avec du gratuit ? Comment expliquer la puissance de ce mouvement face à des entreprises colossales ?
Comment expliquer les conflits permanents entre logiciel libre et open source ?
S’agit-il seulement de philosophie et de politique ? Y a-t-il d’autres conflits latents ? Les prestataires et leurs clients peuvent-ils vraiment avoir les mêmes intérêts ? Et si l’analyse de ces conflits d’intérêts permettait de comprendre ce qui se passe ?
Et puis la progression de Linux sur le poste de travail est très faible, comment croire à son triomphe?
Le but de cet ouvrage est d’expliquer comment, tranquillement, le monde du logiciel libre va devenir le monde du logiciel tout court.
Grâce à quelques hypothèses de bon sens, il est possible de comprendre l’arrivée du logiciel libre sur la scène économique, son mouvement, ses lignes de fractures et ses promesses. Et la rapidité avec laquelle il s’est imposé.
Le logiciel libre (free software) a commencé chez les informaticiens ; il a commencé avec l’informatique. Ainsi certains se souviennent des débuts de la micro-informatique, quand les journaux publiaient des programmes.
Grâce à l’Internet, les informaticiens s’enthousiasment : ils vont cesser de réinventer la roue chacun dans leur coin et partager ce qu’ils font afin d’avancer. Les programmes essentiels de l’Internet (Apache, Sendmail) et les protocoles seront bâtis ainsi. C’est ensuite, au sein des entreprises, l’occasion saisie d’une mutualisation par l’offre, un partage des coûts, sous le nom d’open source. À la fin des années 1990, les entreprises commencent à mesurer le bénéfice qu’elles tireraient à utiliser d’autres méthodes de développement logiciel.
Nous sommes au début du troisième moment de cette histoire : la mutualisation par la demande. Les clients (les utilisateurs qui paient) sont en train d’inventer des dispositifs pour faire développer en se coalisant des applications métier et de les maîtriser.
On verra quels modèles économiques, dont certains transitoires, se seront déployés à travers le temps.
Les trois moments de cette histoire voient des émergences de communautés : d’abord des communautés d’individus, ensuite des communautés d’entreprises, enfin des communautés de clients. Les conflits internes au monde du logiciel libre – entre ces communautés, sont inévitables. Mais l’important est ailleurs : l’évolution des forges de développement logiciel, ces usines à collaborer.
C’est autour des forges de demain que se jouera l’avenir de la société de l’information. Il nous faut commencer à approcher une économie au sein de laquelle la notion de biens libres se transforme complètement.
Nous savons aujourd’hui que les richesses naturelles ne sont plus inépuisables, tandis que le monde du numérique produit des biens libres. Il est singulier qu’il appartienne à notre époque de penser en même temps le caractère limité de l’environnement que nous avions cru libre, et le caractère essentiellement durable et inépuisable d’objets produits par notre économie, dont les logiciels libres sont les prototypes.